Les marques d’infamie

Publié le par Ephedra

Ça peut être pas grand-chose : quelques kilos en trop, un duvet disgracieux au-dessus des lèvres, une permanente ratée, un appareil dentaire, des fringues à chier achetées par votre grand-mère. Mais un presque rien à la Jankélévitch, un pas grand-chose qui change tout. Des petits détails a priori sans importance. Sauf quand vous êtes enfant. Sauf quand vous êtes ado. Parce que ces petits détails peuvent alors prendre des proportions énormes, devenir une montagne, un monument, et générer des brûlures au fer rouge, comme le sceau des maîtres sur les esclaves, comme les marques d’infamie, les stigmates d’Erving Goffman.  

 

Le mot « stigmate » est un terme d’origine grecque, utilisé dans l’Antiquité pour désigner les marques que l’on gravait au couteau ou au fer rouge sur le corps des esclaves, des traîtres ou des criminels, pour bien les signaler comme tels. C’était donc un moyen de marquer la différence, un signe de reconnaissance négative, une manière de dire l’exclusion dans la chair.

 

Dans son ouvrage éponyme, le sociologue Erving Goffman élargit le concept de stigmate à tout ce qui à un moment donné peut disqualifier la personne, quand elle ne rentre pas dans les attentes normatives d’une société.

 

Le stigmate part donc des codes en vigueur dans une société donnée, d’un présupposé culturellement construit sur ce que devrait être la personne en face de soi. Par exemple, dans une société qui valorise la jeunesse, la beauté et la minceur, être vieux, gros et moche, c’est cumuler les stigmates potentiels.

 

On a tous (tous?, non, peut-être pas, mais beaucoup quand même, je crois), des trucs comme ça, de ces petits défauts qui nous défont ; des histoires, des remarques, des mots, des regards, qui à un moment donné nous ont fait mal, parce qu’ils ont posé sur nous  l’empreinte de leur fer. Un truc qui vient vous frapper de plein fouet alors que vous n’aviez rien demandé. Sentiment d’injustice devant l’agression gratuite. On n’a rien fait, et malgré tout, on est attaqué pour ce que l’on est, parce que trop gros, trop petit, trop grand, trop maigre. Fermez les yeux et revivez ce sentiment d’injustice oncques ressenti dans la cour de l’école, que vous croyiez avoir balayé de votre esprit au fil des années, mais qu’au fond de vous vous n’avez jamais vraiment oublié. « Ils » ont ouvert une brèche qui a été colmatée par le temps et par les transformations physiques, mais qui au fond ne sera jamais complètement refermée. « La grosse », « Moustache », « L’épouvantail », « Le caniche » ou que sais-je encore, qui font que même 20 ans, même 30 ans plus tard, avec des sapes de ministre, une silhouette de top-model et la coiffure de Julia Roberts, on sera encore un peu au fond de soi la grosse, la moustachue, la permanentée ou celle avec des fringues à chier. Et l’on aura beau vous dire que vous êtes mince, que vous êtes belle, le miroir vous renverra toujours l’image de cette pauvre fille si sympa mais décidément trop moche.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
C'est mon cas...Mon frère était le Dieu, ma soeur aînée était belle et intelligents, tellement pleine d'imagination, la petite était le bijou de la famille, tellement gracieuse et souriante..et moi? le vilain canard toujours sale dont on disait...avec un soupir ahhh, c'est une "bonne fille" ...mais elle a bon coeur!<br /> Paf, prend ça dans la gueule quand t'as huit ans! A tel point que lors d'une conversation avec ma soeur des années plus tard, elle m'a fait une réflexion édifiante à la vue de mon univers et de mes "connaissances":" Ahhh, mais..je n'avais pas idée du tout ...C'est incroyable...."
Répondre
E
<br /> <br /> Hmmm, dur en effet... Et pas facile ta position telle que tu la décris...<br /> <br /> <br /> <br />