Deux tu l’auras valent-ils mieux qu’un tiens ?
Il existe, à Nanterre, un Centre d’Accueil et de Soins Hospitaliers, le CASH, qui abrite un CHRS (Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale). Les CHRS ont pour mission d'assurer l'accueil, l'hébergement, l'accompagnement et l'insertion sociale des personnes en recherche d'hébergement ou de logement, afin de leur permettre de retrouver une autonomie personnelle et sociale. Concrètement, les CHRS accueillent donc des personnes sans-abris, avec parfois des problématiques associées (alcoolisme, toxicomanie, violence conjugale…). Ces personnes sont accompagnées au quotidien par des travailleurs sociaux, et par d’autres professionnels du secteur social et médico-social, mais ponctuellement, des intervenants extérieurs peuvent venir proposer certaines activités, en lien plus ou moins direct avec les missions du CHRS.
Il y a quelques années de cela, un intervenant en théâtre, Chad Chenouga, a réalisé un documentaire sur son action au sein du CHRS de Nanterre. Le film s’appelle C.A.S.H. et il met en scène un groupe de résidents qui s’est investi dans son atelier. Parmi eux, une dame de 80 ans environ, d’origine polonaise, dynamique et sympathique : Frederika. A sa manière de s’exprimer, à la teneur de ses propos, on voit que c’est quelqu’un de cultivé, elle parle très bien français, et l’on devine qu’elle a dû être une belle femme, avec un esprit libre et indépendant. Elle dit à un moment donné comment c’est à force de vouloir toujours plus ou de n’être jamais satisfaite, je ne me souviens plus des termes exacts, mais le sens est celui-là, qu’elle s’est retrouvée à la rue.
Cela me fait me questionner sur le risque qu’il y a à toujours partir, à toujours vouloir aller plus loin, recommencer, voir ou avoir autre chose, ne pas se satisfaire de ce que l’on a. L’herbe est-elle vraiment toujours plus verte ailleurs ???
J’ai actuellement un boulot formidable, bien payé et qui me comble intellectuellement et professionnellement au quotidien. MAIS il est situé dans une ville où je n’arrive pas à m’ancrer. Elle n’est pas pire qu’une autre, j’y ai des tas d’amis que je n’aurais sûrement pas ailleurs, j’y fais des tas de choses que je ne ferais sûrement pas ailleurs, avec un train de vie que je n’aurais sûrement pas ailleurs non plus… Et malgré tout, je n’arrive pas à me projeter ici. Autant je suis bien dans mon boulot, autant je n’arrive pas à m’investir dans la ville, et le problème est que l’un est indissociable de l’autre… Concrètement, je squatte donc plus que je n’habite mon appartement, comme si j’allais partir à tout instant, et j’en ai marre de cet état de squat permanent, je voudrais me poser un peu, mais j’ai l’impression que c’est une impossibilité pour moi que de le faire ici. Je n’arrive tout simplement pas à m’envisager ne serait-ce qu’à court ou moyen terme à cet endroit. Pourquoi ? Pourquoi je n’accroche pas ??? J’ai essayé d’y réfléchir, et hormis la question de la taille de la ville (qui est peut-être la réponse, en fait, tout simplement), trop petite à mon goût, je n’ai trouvé aucune raison satisfaisante, ni aucune raison tout court d’ailleurs, pour expliquer cela.
De manière surprenante - parce que finalement un lieu sans gens, ce n’est rien qu’un désert, littéralement un no man’s land, un lieu sans âme, un lieu vide - j’ai malgré tout l’impression que ce qui prime pour moi, c’est la ville en elle-même et mon rapport à elle, plus que les gens que j’y connais ou que ce que j’y fais. C’est un peu fou, non ?!
Dès lors, que faire ? Sacrifier tout ce que j’ai ici, à savoir un CDI très confortable et bien payé, des conditions de travail au top, et un boulot que j’adore ; tout planter pour aller où, faire quoi ? A une époque où il n’est pas forcément évident de s’en sortir professionnellement, surtout avec un profil comme le mien, est-il bien sage de partir ainsi à l’aventure et de répondre au petit bonheur la chance à l’appel des sirènes de l’ailleurs ? Evidemment que si je dois partir, j’assurerai un minimum mes arrières avant de m’en aller, à savoir que je ne partirai pas sans avoir trouvé ailleurs de quoi subvenir à mes besoins. Mais même ainsi, je me demande si ce n’est pas un peu de la folie, parce que je sais ce que je perds, sans savoir vers quoi je vais… Et du coup, je ne peux pas m’empêcher de me demander si un jour je ne finirai pas comme Frederika, parce que je n’aurai pas su me contenter de ce que j’avais... :-(